La réaction de « Charlie » jeudi 8 février 2007 par Libération

Tariq Ramadan s’exprime au nom d’un islam qui se veut non caricatural mais il échoue à ne pas caricaturer ses adversaires. Charlie Hebdo ne s’est jamais posé en défenseur des « valeurs occidentales ». Au contraire, le journal a publié un manifeste contre l’islamisme signé entre autres par Salman Rushdie et Taslima Nasreen , où il est écrit : « Il ne s’agit pas d’un choc des civilisations ou d’un antagonisme Occident-Orient, mais d’une lutte globale qui oppose les démocrates aux théocrates. » Tous les théocrates.

Car Charlie Hebdo combat tous les obscurantismes. Devrait-il faire une exception pour l’intégrisme musulman ? C’est ce que nous demande, entre les lignes, Tariq Ramadan. Puisque le seul fait de critiquer l’islam par des intégristes fait de nous des « islamophobes ». Sur son site Internet, il a eu la mauvaise foi d’attaquer la une de Cabu (« C’est dur d’être aimé par des cons » « Mahomet débordé par les intégristes »), afin d’accréditer l’idée que Charlie Hebdo traitait les musulmans de « cons ». Alors que le dessin de Cabu représentait un Mahomet déplorant les intégristes...

Le coup du racisme antireligieux visant à confondre la critique des symboles d’une religion avec la stigmatisation des croyants est un classique. Lorsque nous malmenons le pape ou Jésus, les troupes de Bernard Antony (le leader des catholiques traditionalistes d’extrême droite) nous traînent devant les tribunaux pour racisme antichrétien. Mais qui prend Bernard Antony au sérieux ? Si Tariq Ramadan était chrétien, on verrait immédiatement en lui le Bernard Antony qui sommeille. Heureusement, il est musulman, anti-impérialiste, et parvient à troubler le camp progressiste. Ramadan n’est pas bête au point de s’associer aux démonstrations de violence manipulées par la Syrie et l’Iran. Il est bien trop stratège pour cautionner un procès attisé par la rivalité entre la Mosquée de Paris et l’UOIF au sein du CFCM. Mais son message n’en reste pas moins liberticide. Car, comme au moment de la représentation d’une pièce de Voltaire sur Mahomet en 1993 à Ferney-Voltaire, Tariq Ramadan n’a jamais besoin de demander la censure pour l’obtenir. Il préfère parler de tact ou de « délicatesse » . Exactement comme pour le voile, qu’il n’impose pas, mais décrit à ses fidèles comme le stade suprême de la pudeur, et la pudeur comme un devoir pour toute musulmane.

Reste que cette fameuse pièce de Voltaire n’a pas pu se jouer, que toutes les musulmanes ayant Tariq Ramadan pour idole finissent par prendre le voile, et que ceux qui se nourrissent de ses commentaires sur l’actualité finissent par penser que Charlie Hebdo est un journal raciste... Les musulmans modernistes qui soutiennent Charlie Hebdo hésitent entre rire et pleurer. Tariq Ramadan, lui, a déjà trouvé une forme de compromis : un bon musulman ne rit pas mais se contente de sourire.

par Caroline FOUREST, dans Libération